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Interview de Vanessa Gusmeroli
par B. Noel
Cette interview a été réalisée le 28
mai à Paris pendant la deuxième journée des
Masters
Miko (www.mastersmiko.com). Vanessa
venait
de terminer sa séance d'entraînements de
l'après-midi
et elle m'a gentiment accordé un peu de son temps avant de se
préparer
pour le gala. L'interview a en fait duré à peu
près
une demie heure !
Quel bilan tires-tu de ta saison ?
Et bien, comme bilan... c'est la transformation complète.
Cette
saison a été très agitée : j'ai
décidé
en début d'année de changer d'entraîneur, j'ai eu
des
problèmes au niveau des pieds. Partir à Paris a
créé
pas mal de remous dans le monde du patinage.
Ca change tout...
Non, pour moi c'était très clair dans ma tête,
mais mon ancien entraîneur n'acceptait pas que je parte, il
n'acceptait
pas mon choix.
J'ai entendu dire qu'"on" voulait que tu t'entraînes
à
l'étranger...
Oui, la fédération a vraiment insisté
là
dessus, on me disait "Pour être championne olympique il faut
patiner
avec celui qui forme les champions olympiques", mais moi je ne voulais
pas. En partant j'avais réussi à dire qu'à partir
de maintenant c'est moi qui décide, je prends mes
décisions,
je
fais ce que je veux; je ne suis pas partie pour qu'on me dise "Tu vas
là-bas".
Je leur ai donné une ou deux fois ma licence en leur disant
"Si vous m'obligez, moi j'arrête le patin"; en effet, je n'allais
pas m'investir à fond dans quelque chose dont j'étais sur
que ça ne marcherait pas. C'est déjà assez dur de
partir à Paris loin de ma famille... A Paris, en une heure
d'avion
je suis de retour à la maison le week-end. Partir aux Etats-Unis
ce n'est pas pareil... déjà au niveau de la langue, car
je
ne parle pas très bien anglais, et puis c'est un autre mode de
vie.
Et puis aller là-bas avec qui, je ne connais personne, donc non,
pour moi c'était clair. Je partais mais je voulais continuer
à
m'entraîner en France. Et en France il n'y a pas 36 centres
d'entraînements...
Bercy c'est là où la patinoire est la plus jolie,
où
il fait bon, et j'ai la chance de m'entraîner avec Stanislas, et
ça se passe vraiment bien.
Tes deux places de 4ème
à
l'Europe et au Monde, tu vois ça comme quelque chose de positif
au vu de la saison, notamment aux championnats de France où tes
programmes n'étaient pas très propres, ou alors tu
ressens
ça comme une déception car tu finis deux fois au pied du
podium ?
Non, c'est hyper positif. Décevant, c'est pour la France que
c'est décevant. Moi, vraiment, pas une fois je n'ai
été
déçue, pas une fois.
Pour revenir aux championnats de France : aux championnats de
France
j'ai fait un programme court pas mal, mais ensuite j'ai eu une
intoxication
alimentaire.... Je n'ai pas mangé avant le programme long,
j'avais
des nausées tout le temps, dès que je me levais j'avais
les
jambes qui tremblaient et il fallait que je me rassoie. Pendant les 6
minutes
d'échauffement j'ai fait juste un peu de glisse, mais
pratiquement
rien du tout en fait.
C'était vraiment un exploit alors...
Ce que j'ai fait dans le programme long c'était vraiment un
exploit, car je ne tenais pas debout du tout. C'est vrai que
c'est
comme si tout me tombait dessus, parce que je pensais que si je
patinais
bien aux championnats de France tous les problèmes qu'il y avait
autour de moi du fait que je sois partie se seraient
arrêtés,
mais là j'étais malade et ça n'a pas
arrangé
les choses.
Et donc, pour revenir à la question, je n'ai jamais fait
deux
compétitions comme ça de toute ma vie. Ne serait-ce que
le
programme court où je mets le triple lutz et le triple flip
alors
que généralement je mettais le triple lutz et le triple
boucle.
Même ça on n'avait jamais essayé avant avec mon
ancien
entraîneur. Ensuite, le programme libre, je n'avais jamais mis
deux
triple lutz. De toute façon, je n'avais jamais fait un programme
sans faute de toute ma vie, même a l'entraînement, donc
là,
c'est incroyable.
Et ce qui est fou en plus, c'est que tu fais des programmes sans
fautes à l'Europe, mais tu les refais aussi aux Monde, ça
prouve que ce n'était pas un coup de chance.
C'est vrai, ce n'est pas un coup de chance, c'est que j'ai
trouvé
quelqu'un qui me faisait confiance et qui m'aidait à monter.
Quelle était ta motivation après cette série
de galère, de changement ?
La motivation, je l'avais avant, je l'ai eu tout le temps. Avant on
me disait que j'étais feignante, que je n'avais pas envie, que
je
ne m'entraînais pas... mais maintenant les entraîneurs et
la
France entière m'ont vu m'entraîner, et ils se sont rendus
compte que tout ce qu'on disait c'était n'importe quoi. Je
dirais
qu'on me cassait du sucre sur le dos, en fait on me faisait passer une
image qui n'était pas du tout moi. Donc la motivation je l'ai
tout
le temps eu.
Ce qui fait que j'ai eu le déclic en début/milieu de
saison de faire des bons programmes, c'est que pour une fois dans ma
vie
je patinais pour moi. Et c'est moi qui voulais réussir, je
voulais
le faire pour moi et pour personne d'autre. Pas parce que j'avais peur
de quelque chose, que si je rate... non, c'était pour moi. C'est
comme si j'effaçais tout ce qui s'est passé, et on
recommence
à zéro. A savoir que si je rate, j'accepte, mais ce n'est
pas grave. Ce n'est pas la catastrophe, on ne va pas m'engueuler, on ne
va pas dire du mal de moi. Parce que c'est moi, c'est moi maintenant.
C'est
ça en fait.
Combien de temps d'entraînements par semaine ?
Par semaine je ne sais pas, je fais à peu près 3
heures
de glace par jour et 2 heures de sol.
Des entraînements plus spécifiques hors saison
?
Là, je vais voir avec Stanislas comment ça se passe.
Bien sur on travaille plus le physique pendant l'été, et
il faut monter les nouveaux programmes. Et en fait, je ne me suis pas
énormément
entraîner cette année pour l'Europe et le Monde.
En tout cas ça a l'air de payer quand même !
Tu as des programmes toujours très originaux, très
intéressants, d'où te viennent toutes tes idées
?
J'ai une couturière qui est très artiste, donc qui me
donne beaucoup d'idées et qui m'aide à les faire
fonctionner.
Là, pour Lara Croft, le programme que j'ai fais hier, j'ai
travaillé
et je l'ai monté en trois jours avec Sandra Garde.
L'année
prochaine c'est elle qui va monter mes nouveaux programmes. Sinon,
c'est
en discutant avec plein de monde. J'essaie tout le temps de trouver des
programmes à thèmes, car là je peux exprimer
quelque
chose, jouer un peu la comédie. Ca met moins de stress sur le
programme,
sur les sauts, et en fait je me fais plus plaisir.
Est-ce qu'il y a des idées que tu apportes toi-même
au niveau des costumes ?
En fait c'est la mère de Sandra Garde qui me fait tous mes
costumes,
depuis toujours.
Et sinon, sur les sauts :
-> le saut que tu préfères le plus ?
En fait, ça dépend des moments. Pour l'instant je
pense
que c'est le triple lutz, c'est celui qui passe le mieux. Sinon
ça
dépend, généralement c'est le triple boucle. C'est
pareil, comme j'ai encore pas mal de problèmes au niveau des
pieds,
il y a des semaines où je peux plus travailler les triples Lutz,
triple flip, triple boucle et moins travailler les pieds comme le
triple
boucle piqué et le triple Salchow, et des fois c'est le
contraire.
Donc en gros quand je n'ai pas mal aux pieds tout va bien, mais
dès
que j'ai mal aux pieds j'essaie de ne pas trop forcer sur sauts qui me
font mal.
J'ai vu un entraînement à Nice sur le
Salchow...
Oui, oui, mais bon, il est bien passé dans le programme
encore
une fois. Mais c'est vrai que mon plus mauvais saut c'est le triple
Salchow.
Là je vais tout changer, il faut que je reprenne la technique
à
zéro. En gros il faut que je me l'efface de la tête et que
je recommence comme il faut, parce que je suis vraiment mal
placée
sur le triple Salchow, c'est une catastrophe.
-> les triple-triples ?
Avant Nice je n'en ai pas trop fait car j'ai encore eu mal au pied.
J'ai donc arrêté le triple boucle piqué, je ne l'ai
repris que 15 jours avant la compétition car quand je piquais
j'avais
vraiment mal. Avant...euh, c'était où l'Europe ?
Vienne...
Oui, avant Vienne, je faisais tous les jours triple boucle
piqué-triple
boucle, je suis plus facile sur les sauts en boucle. Donc je vais le
retravailler
cet été de toute façon, avec le triple Axel, pour
inclure soit l'un soit l'autre dans le programme.
J'ai lu que pour le programme long à Nice tu avais
prévu
peut-être triple lutz-double boucle piqué ou avec le
triple
boucle piqué derrière.
Non, que triple-double.
-> le triple Axel donc, quand j'ai lu dans "Nice Matin" que tu parlais
du triple Axel, ce n'était pas une erreur de frappe... tu le
travailles
?
Oui, bien sur, je l'ai travaillé. Là ça fait
six
mois que je ne l'ai pas travaillé, parce que je n'ai pas trop eu
le temps, ça a été un peu la course à tous
les niveaux, mais il m'est déjà arrivé de faire un
triple Axel tombé en arrière sur un pied ou sur deux
pieds
debout.
Mais les trois tours et demis étaient là...
Oui, facile. Donc c'est un autre objectif ! Je ne dis pas de le
faire
en compétition, mais peut-être plutôt de le faire
voir
aux entraînements aux juges.
Car sur Internet il y a une question qui revient souvent, c'est
"qui sera la prochaine fille à faire un triple Axel ?..."
Ce sera moi, vous pouvez le dire... (rire).
Sinon, d'après toi quels sont tes points faibles, tes
points
forts ? Peut-être la technique sur les points faibles car tu
parlais
du triple Salchow à reprendre...
Non, même pas car quand je le fais, le triple Salchow, il est
parfait. Mais le problème c'est que parfois je me bloque, et du
coup c'est beaucoup plus dur. Techniquement, j'ai la meilleure
technique
que n'importe qui; ce n'est pas pour me lancer des fleurs, mais c'est
là
: je saute plus hauts, je fais de plus grands sauts.
Au niveau chorégraphie j'ai encore beaucoup de choses
à
travailler au niveau du port de tête, de la tenue des bras, mais
bon, j'ai déjà quelque chose.
En parlant des bras, juste une question, est-ce que ton
programme
sur le papillon n'est pas extrêmement fatigant pour les bras
?
Si, mais c'est une habitude en fait. Avoir tout le temps les bras
en
l'air, avec le poids des ailes, au début ça me faisait
vraiment
mal.
As-tu une idée du petit plus qui pourrait faire monter tes
notes ? Travail, travail, travail ?
Non, parce que moi il me faut du travail de qualité avec
beaucoup
de confiance en moi. Il ne faut pas que je rate de sauts, ou il faut
que
j'en rate mais très peu. Quand je pars sur un saut il faut
vraiment
que je parte pour le faire, il ne faut pas que je fasse de petites
erreurs
ridicules. Psychologiquement il faut que je sois rassurée, que
je
sache que je les fais à 100%. Je suis très critique
envers
moi-même. Dès que je rate quelque chose je ne suis pas
contente,
même s'il est bien je ne suis toujours pas contente. Il faut que
je travaille, je dirais, à continuer à être
régulière
comme j'ai eu la chance de l'être ici, pour encore plus me faire
voir et que les juges se disent "Décidément, elle est
vraiment
forte. Ca y est, elle est là".
Et puis après, toujours trouver des bons programmes avec
beaucoup
de comédie. Il faudrait que je raccourcisse les sauts, qu'ils
soient
moins télécommandés; il faudrait que je fasse un
mouvement
et le saut tout de suite après.
Est-ce que tu prévois d'autres innovations, comme par
exemple
dans ton programme de cette année les pirouettes dans les deux
sens
enchaînées ?
On va voir, je vais travailler avec Sandra Garde.
C'est vrai que question originalité, je pense que tu as
frappé
à la bonne porte.
Oui, c'est clair.
Et sinon, plus généralement, ton passage à
Paris...
Qu'est-ce que tu penses de Paris ? Il pleut...
Oui, il ne fait que pleuvoir, il ne fait pas souvent beau. Mais
c'est
une période de ma vie qui est importante, pour
l'évolution
du patinage ça c'est sur, mais même au niveau des
études,
car j'aimerai passer mes brevets d'états en début
d'année.
Tout mon avenir, je vais le construire ici, ce que je ne pouvais pas
faire
à Annecy parce que ce n'est pas assez développé
comme
ville.
Et le les montagnes, l'air pur, le lac, ça ne te manque
pas
trop ?
Si si, mais ce qui me manque le plus, c'est mes amis quand
même.
Le week-end ils me manquent beaucoup, c'est dur.
Tu arrives à rentrer souvent quand même ?
Au début j'allais souvent sur Annecy, pratiquement tous les
week-ends, et puis là mon copain est monté travailler sur
Paris, donc en fait on descend un peu moins souvent, de temps en temps.
Maintenant tu t'entraînes avec Sarah et Stéphane, et
je suppose qu'il y a une très bonne ambiance, mais est-ce que
l'agression
de Stéphane à Nice ne t'a pas un peu
déstabilisée
?
Si... Vraiment, je trouve qu'ils ont eu beaucoup de courage.
Stéphane
bien sur, mais surtout Sarah, qui est peut-être un peu moins
forte
que lui psychologiquement. Ce qu'elle a fait là, réussir
à passer au dessus de tout ça, sans avoir peur et donner
le maximum dans le programme... Moi c'est sur, à sa place, je ne
pense pas que je serai allé patiner ! Le soir je
n'arrêtais
pas de pleurer, et le fait d'avoir plein de garde du corps autour de
nous
c'était un stress en plus, ça prouvait qu'il y avait des
risques. Moi je n'ai pas dormi du tout la veille des qualifications, et
le lendemain, dès qu'il y avait un bruit j'avais peur,
c'était
affreux. Je leur dis 'chapeau', car pour moi, c'était impossible
qu'ils fassent quelque chose, je pensais qu'ils allaient péter
les
plombs.
Le pire dans tout ça c'est qu'il y des gens qui n'y
croient
pas, qui disent qu'il s'est fait ça tout seul...
De toute façon au moindre truc qui se passe, il va y avoir
du
pour et du contre. Je sais pas, quoiqu'il arrive, je dirai qu'il y a
toujours
des gens qui vont dire que c'est trafiqué, que c'est un coup
médiatique.
Maintenant, chacun croit ce qu'il veut... le truc c'est que la balafre
elle est bien là.
Les Masters Miko en ce moment ou la tournée de
l'équipe
de France, c'est plutôt une bonne ambiance, plutôt une
récréation,
ou ça reste quand même du boulot ?
C'est la première année qu'on est une équipe
aussi
soudée, vraiment, on n'a jamais été comme
ça.
Que ce soit à l'Europe, au Monde, ou pendant la tournée,
on est tout le temps ensemble, on s'entend tous bien, on rigole
toujours
ensemble. On ne fait jamais de trucs à droite à gauche.
C'est
la première année qu'il n'y a pas de clans, on est
vraiment
une équipe, on est vraiment fort. On se soutient dans tout ce
que
l'on fait, si quelqu'un rate, on est au bord de la piste, ça
c'est
fabuleux.
Bon, sinon c'est un gros boulot, c'est très très dur,
les voyages. Tous les soirs on fait des galas. Là pour les Miko
je suis dans un état, c'est terrible, et on repart demain pour
la
tournée !
Il a fallu monter mon programme de Lara Croft cette semaine alors
que
pendant trois semaines on n'a fait que des galas, où on avait
que
30 minutes d'échauffement. On ne peut donc faire qu'un triple de
chaque, des pirouettes, on répète un ou deux trucs... Et
là on s'arrête, et pendant deux jours on doit travailler
un
programme court de compétition... Le souffle on ne l'a plus, on
n'a plus rien. Je dirais que ce que j'ai fais là, c'est à
dire refaire un programme court sans faute, j'en suis fière ! Je
me suis entraînée durement mais je suis vraiment
fatiguée.
Je te jure que là j'ai envie de me coucher et de dormir trois
jours...
Et encore une fois je vais prendre une douche, me réveiller et
rattaquer
ma routine pour être en forme.
Et cet été, c'est "vacance" ?
Et bien cet été, la plupart des patineurs prend ses
vacances
juste après la tournée, mais moi je ne peux pas... Sandra
Garde ne reste pas longtemps en France, elle repart en tournée
au
Japon, donc je vais monter mes nouveaux programmes tout de suite
après
la tournée, à Bercy. Et puis ensuite, je verrais pour les
vacances, mais il faut d'abord que ça se calme un peu, que je
dorme...
Je ne te demande pas quels seront les programmes de
l'année
prochaine...
Non, on ne dira pas... Grande surprise ! Ce sera vraiment bien.
OK, et merci beaucoup !
De rien !